La question du sens de l’art et de la vie est au cœur de ses démarches. Pour Jagna Ciuchta l’art n’est pas une méthode pour analyser la réalité, ni l’effet d’une simple exploration formelle. Il est nécessaire pour interroger ou mettre en cause la réalité. L’être humain est la colonne vertébrale de ses recherches : l’être humain en tant qu’individu en proie avec le monde extérieur (l’autrui, la société, la politique) et sa propre transformation inhérente au temps. Les possibilités physiques et mentales de la perception, les émotions induites, les modes de vision et de profondeur, le va et vient entre le réel et l’imaginaire, le vrai et le faux, l’authentique et le factice, l’infini et la limite, le fragment et la totalité sont les axes de recherche qu’elle propose d’expérimenter physiquement et mentalement par la vision. Dans les dernières réalisations de Jagna Ciuchta une ambiance douce et onirique cache bien souvent un univers d’ambiguïtés et de tensions : entre joie et destruction, désir et désespoir, plaisir et désillusion… Cette déconstruction de l’illusion est peut être un des dénominateurs communs de ses réalisations. Par exemple, dans la série des papiers découpés Mort de rire, l’artiste ridiculise le pathos de la situation de bourreaux et de victime (loups et cerf) en collant un point rouge - ou nez de clown – à l’emplacement du nez. Son Fata Morgana (nom d’un type de mirage) n’est autre qu’un jardin éphémère dont la structure est inspirée simultanément des paradis biblique et coranique. En outre, les titres des oeuvres sont une introduction aux recherches de l’artiste… l’exposition Le menteur, le muet et le trouillard se décline à la fois dans la salle d’exposition et sur le mur qui précède cet espace. Le spectateur est accueilli par les « proverbes polonais, vrai ou faux », une série de proverbes peints sur le mur en lettres dorées. Pour l’artiste, il s’agit de proverbes anatomiques car ils citent et s’appuient sur des parties du corps humain. Liés à la peur, la lâcheté et à l’illusion, ils évoquent des attitudes dérangeantes, ou honteuses et nos faiblesses quotidiennes :
la peur a de grands yeux
une main lave l’autre
les mains sales, le coeur rose
croire fait mal aux genoux
le mensonge a des jambes courtes
se remplir la bouche d’eau
se réveiller la main dans un pot de chambre
la peau rugueuse, le coeur en morceaux
C’est une étrange mise a nue, un drôle d’atlas anatomique (nous sommes donc sur les terrains de la médecine ? de la maladie, de l’hypochondrie ?), un regard (auto-) critique sur la condition humaine. Du point de vue formel, l’exposition devient pour l’artiste un terrain de jeu et d’expériences avec l’image ainsi qu’avec sa langue maternelle. Dans la salle d’exposition, deux grandes images se font face :
« rorschach 3 », 2007 une carte de 3 m de large sur 2,40 m de haut, découpée dans du médium et peinte en noir. L’artiste choisit volontairement de représenter cette partie du monde que sont l’Europe, l’Afrique et une partie du Moyen-Orient. En la dédoublant à la façon d’un test de Rorschach, l’artiste propose au spectateur une carte du monde libre d’interprétation.
« le circuit / sérotonine », 2007 un dessin réalisé à même le mur avec le soufre d’une allumette pour représenter le circuit de la sérotonine dans le cerveau.
Un proverbe ponctue la lecture de l’exposition : « croire fait mal aux genoux »